Comment inventer des produits qui n’existent pas sur des marchés qui n’existent pas ? Faut-il innover ou inventer ? A quel moment faire appel aux équipes transverses ? Ces questions rythment le quotidien des services de recherche et développement et pourtant, souvent, elles sont laissées de côté et traitées en aval du projet. Pour éviter les faux pas, Sabine Ashfaq, responsable marketing chez PolymerExpert vous guide dans la quête de l’innovation.
Les deux termes sont souvent confondus pourtant, ils sont très différents. En effet, l’invention est l’activité d’imagination et de réalisation de moyens techniques, de biens ou de services nouveaux. L’innovation est une invention transformée en produit ou en service et exploitée sur un marché ou diffusée dans la société. L’innovation diffuse et socialise l’invention .
Néanmoins, le passage d’une invention à une innovation n’est pas automatique et prend du temps, ce qui peut interférer avec la notion de rentabilité qu’espère une entreprise lors d’une découverte scientifique ou technologique. Beaucoup mesurent l’innovation (et non l’invention) par le taux de dépôt de brevet. Or, seule l’exploitation industrielle d’un brevet est une innovation (sans être pour autant financièrement rentable) et le chemin du laboratoire à l’industrialisation est long et semé d’embûches.
Enfin, il est bon de rappeler que la créativité et l’innovation ne sont pas synonymes. Si être créatif, c’est avoir des idées, être innovant, c’est mettre les idées en œuvres. Ainsi, certains blocages en R&D peuvent être facilement résolus en analysant les atouts de chacun dans l’équipe. Certains seront des créatifs, d’autres des innovateurs et d’autres sont un peu des deux. La clé pour innover est donc de faire travailler les bons binômes ensemble.
Le marketing est l’une des principales clés de l’innovation réussie. Il s’agit d’une combinaison de techniques et de méthodes destinée à créer de la valeur dans un univers compétitif et concurrentiel.
Le marketing peut aider à comprendre le marché et à identifier les tendances des consommateurs. Il peut également aider à développer des produits et services qui sont plus adaptés à la demande et qui peuvent être ainsi plus innovants.
Le lancement d’un nouveau produit ou service ne doit rien laisser au hasard. Un stratégie marketing pertinent doit permettre à l’entreprise de maximiser ses chances de succès et même la conduire à de nouvelles opportunités ou de nouveaux marchés. Dans le but d’accomplir ses objectifs, une organisation doit adopter une approche cohérente de la conception du produit ou service à la mise en valeur de ses avantages, en passant par la définition de son prix et son canal de distribution. Toute introduction à un marché doit se faire par une stratégie marketing bien pensée et appropriée.
Une entreprise qui souhaite innover doit se doter des outils adéquats pour promouvoir ses produits et services et se démarquer de la concurrence. Le marketing est l’un de ces outils essentiels pour réussir dans un monde en constante évolution.
« Rien ne sert de courir, il faut partir à point » nous enseignent les fables de La Fontaine. C’est également le cas lors de la mise en place d’une stratégie marketing dans un projet d’innovation. Souvent, les entreprises ont tendance à faire appel au marketing tardivement voir à ne l’intégrer qu’au moment du lancement d’un produit. C’est une erreur commune et pourtant, intégrer son département marketing dès la phase de développement permet d’obtenir de meilleurs résultats en termes de R&D. Cela évite des périodes de sprint marketing où la phase de développement et de lancement n’est pas distincte et peut contribuer à une confusion entre la réalisation du produit, le besoin marché et in fine, ce qui est techniquement réalisable.
Pour que la stratégie marketing soit au service de l’innovation, le développement marketing doit intervenir à tout prix et à minima à deux moments clé : au début du projet et à la fin du projet.
Comme l’écrit à juste titre Paul Miller , L’innovation peut être comparé à une graine. « D’abord pour avoir une graine à planter, il faut la développer et on peut dire que c’est à la R & D (ou aux explorateurs de l’entreprise) qu’incombe cette mission. Ensuite, que se passe-t-il si on essaye de planter cette graine dans un sol ni labouré, ni fertilisé, ni arrosé ? Quel que soit son potentiel, la graine ne poussera pas. Pour dire les choses autrement on pourrait déposer dix fois plus de graines sur le sol, c’est-à-dire dépenser dix fois plus d’argent en R & D, il ne pousserait rien de plus si on ne préparait pas le terrain. Si l’on prolonge un peu plus loin l’analogie, on peut dire que pour tirer les fruits de l’innovation il faut accomplir les cinq missions illustrées dans le schéma ci-dessous. »
Concrètement, le département R&D explore différentes pistes scientifiques. Après quelques essais au laboratoire, une innovation exploratoire est présente. C’est à ce moment-là que le marketing doit intervenir. En effet, le département marketing va préparer le terrain en le débroussaillant :
– Est-ce que ça existe ?
– Est-ce qu’il y a un marché ?
– Est-ce c’est le bon moment ?
Le but n’est pas de répondre oui ou non à ces questions, mais plus précisément d’obtenir une photographie des canaux de diffusion. Cela permet de prendre une décision en connaissance de cause. Par exemple, si un marché est existant, est ce que mon innovation va venir intégrer ce marché de manière pérenne ? A contrario, si le marché est inexistant, est ce que mon innovation peut créer un nouveau marché ?
Une bonne stratégie marketing dans un projet d’innovation se traduit finalement par la capacité d’échange entre les différentes parties prenantes. Ainsi, tous peuvent anticiper selon leurs connaissances propres et ainsi prévenir et prévoir l’avenir du projet avec les connaissances communes. Steve Jobs disait : « L’innovation n’a rien à voir avec les dollars que vous investissez en R&D. Quand Apple est apparu avec le Mac, IBM dépensait au moins 100 fois plus en R&D. Ce n’est pas une histoire d’argent. Il s’agit des gens que vous avez, comment vous les dirigez et à quel point vous êtes impliqués. »
Robert Lewis Duncan disait qu’ « Une innovation consiste à transformer des idées en facture, les innovations que les clients n’achètent pas s’appellent des fadeurs ». Mais rares sont les innovations qui d’elles-mêmes se transforment en facture, d’où l’importance du marketing qui vient faire le pont entre l’innovation et le marché.
Le marketing est indissociable de l’innovation, ne serait-ce que pour comprendre les enjeux des consommateurs et du marché. Le concept GIGO « Garbage In, Garbage Out » est une théorie qui bien que brute dans son appellation traduit un problème majeur : si l’information qui rentre est mauvaise, l’information qui en sort sera également mauvaise quelles que soient les qualités intellectuelles ou manuelles de la personne qui traite l’information. Il ne faut pas s’atteler à deviner, imaginer ou fantasmer les besoins de ses clients, il faut les analyser, les quantifier et les confronter pour en obtenir une information clé pour innover.
Enfin, le marketing permet de mettre des mots sur des concepts, des idées qui trop floues ou trop techniques, ne résonnent pas dans l’imaginaire collectif. Il faut nommer l’innovation pour la faire exister dans l’esprit des clients .
Il est bon de garder à l’esprit qu’innover est difficile et que même les plus grands y ont laissés des plumes notamment lorsqu’il s’agit d’innovation de rupture.
Il existe de nombreux exemples qui permettent d’apprendre des erreurs des autres : Kodak, Xerox, Walmart, Disney, etc. Toutes ces entreprises ont échoué alors qu’elles sont considérées comme leaders dans leurs industries. Pourtant, les erreurs de management ont conduit à l’impossibilité d’implanter des technologies disruptives et in fine pénétrer des marchés, que d’autres entreprises ont récupéré et en sont devenues aujourd’hui leader.
Afin d’illustrer de manière concrète l’intérêt du marketing de l’innovation, quoi de mieux qu’un exemple concret ? Découvrez le cas d’école Xerox vs Apple :
Xerox, très connue pour ses copieurs, était dans les années 70 pionnières dans l’invention de certaines technologies qui ont révolutionné le monde. En effet, les ingénieurs avaient notamment mis au point l’imprimante laser, la souris, l’interface graphique ou encore le protocole Ethernet.
Cependant, on ne retient pas le nom de Xerox pour ces inventions. Pourquoi ? Car à l’époque, Xerox était très satisfaite de ses copieurs et ne voyait en aucun cas un intérêt de diversifier son portefeuille, voir pire pensait que l’imprimante laser serait un concurrent de ses copieurs actuels.
En 1979, Steve Jobs visite le PARC (Pao Alto Research Center), soit le QG de Xerox. On lui présente les innovations notamment la souris et l’interface graphique. Si un brevet existait pour la souris depuis les années 40, Steve jobs après sa visite va améliorer les prototypes pour la rendre utilisable sur tout support et surtout réussir à réduire son coût industriel. Concernant l’interface graphique, la fameuse interface LISA (Local Integrated Software Architecture) de Macintosh a vu le jour grâce à cette visite. En effet, Steve Jobs n’avait pas eu l’idée de l’interface graphique jusqu’alors et n’était que très moyennement convaincu par les développements en interne. La visite au PARC a permis de le convaincre, mais aussi de rechercher une esthétique et une ergonomie d’utilisation qui n’était pas du tout présente dans les interfaces Xerox. Jobs, a mis en place une interface graphique complète : icônes, une souris, des fenêtres, etc, qui ont donné naissance au LISA OS et aux interfaces graphiques plus largement.
Finalement, l’histoire d’Apple s’inscrit dans cette dynamique. Ils n’ont rien inventé : ni l’ordinateur, ni la tablette, ni les écouteurs sans fils, ni les MP3. Pourtant, en innovant, ils ont révolutionné le marché et ont transformé des inventions dormantes en machine à sous, là où leurs inventeurs n’avaient pas su déceler le potentiel. En effet, Xerox est créatif, mais pas innovant. Apple n’est pas très créatif, mais très innovant.
Si le marketing avait été inclus dans ces innovations technologiques et que les études de marché avaient été menées, le destin de Xerox aurait pu prendre un tournant complétement différent.
Steve Jobs a d’ailleurs déclaré en citant Picasso : « Les bons artistes copient, les grands artistes volent ».
En conclusion, pour transformer votre idée en produit, n’oubliez pas d’inclure votre service marketing !
1. « La fabrique de l’innovation », Gilles Garel et Elmar Mock
2. « Stratégie et marketing de l’innovation technologique » Paul Miller
3. « Innovations and Organizations » Gerald Zaltman, Robert Duncan, Jonny Holbek
4. « Stratégie et marketing de l’innovation technologique » Paul Miller
5. « Le dilemme de l’innovateur » Clayton M. Christensen63